Avril 2023 – Dominique Dalbin et Claire Durox, animateurs Réso’them de l’enseignement agricole
La Canourgue : l’aquaculture et les enjeux climat-énergie
La fraicheur matinale qui nous accueille en ce début de printemps à La Canourgue masque une réalité bien préoccupante : depuis l’épisode de sécheresse de l’été dernier, très peu de précipitations pour réalimenter les nappes (comme partout en France). L’anxiété est encore plus palpable pour une exploitation piscicole en circuit ouvert, tributaire d’une source résurgente en réseau karstique. « Ces dernières années sont un enfer en termes de gestion de l’élevage, constate Philippe Leroy, directeur de l’exploitation de l’établissement, je n’ai pas le sentiment qu’il pleut moins, mais pas avec la même régularité et pas aux mêmes périodes ». C’est sur cette problématique cruciale que s’est penchée cette année la 16e édition de la Semaine de l’eau, proposée par la PFT GH2O Occitanie (cf. encadrés), avec cette focale sur l’aquaculture à l’occasion de la Journée technique sur le site Lozérien.
La PFT GH20 OccitanieDésormais implantée sur les trois établissements de formation agricole à compétence « eau » de la région (Albi, La Canourgue, Nîmes-Rodilhan), la Plateforme technologique (PFT) est reconnue nationalement dans le transfert de technologie auprès des TPE-PME et des collectivités demandeuses. Audits, études, expérimentations : les étudiants s’impliquent activement dans les mesures et autres relevés et le rapport est signé par l’enseignant référent. Pour la PFT GH2O Occitanie, c’est à ce jour 19 partenaires en conventionnement et plus de 150 projets déjà réalisés ! |
La Semaine de l’eau en OccitanieInitiée en 2008 sur l’établissement du Tarn par la PFT GH2O, la "Semaine de l'eau" implique largement les étudiants, qui proposent des visites guidées, expositions, conférences, animations et spectacles. Les classes ont l'occasion d'y présenter des productions collectives, aboutissement d'un travail qui marquera pour longtemps leur conscience citoyenne. Ces actions sont destinées à différents publics : scolaires, grand public, professionnels de l'eau, enseignants et agriculteurs. Depuis 2020, la programmation est élargie aux autres sites de la PFT (La Canourgue et Nîmes), donnant un rayonnement régional à l’évènement.En savoir plus :fiche-action/ blog / article « Lavaur : retour sur la 15e Semaine de l’eau » (2022) |
Après que Louis, étudiant en BTSA Aquaculture, ait introduit le (vaste) sujet par un montage de documentaires vidéos français et étrangers illustrant quelques enjeux et impacts déjà observés, place aux interventions. Se succèdent alors exposés de scientifiques et de professionnels partenaires, mais également des témoignages de terrain, notamment de la part des étudiants suite à leurs expériences vécues lors des stages en milieu professionnel.
Les constats sont implacables : comme le précise Sébastien Stoll, du bureau d’études La Haut, l’aquaculture mondiale, en partie très dépendante de technologies énergivores (pompes, moteurs) et d’intrants (aliments) est à la fois responsable (385 millions de tonnes équivalent CO2 émis, soit 7% du niveau d’émission de l’agriculture) et extrêmement vulnérable aux effets des changements climatiques. En effet, l’augmentation des températures, la montée et l’acidification des eaux océaniques et les perturbations des courants engendrent de nombreux effets en cascade sur les organismes : baisse de l’oxygène dissous disponible, affaiblissement des squelettes et des coquilles, modifications du métabolisme, perturbations hormonales, immunitaires et sexuelles, moindres performances de croissance et de résistance aux pathogènes, … et évolutions des répartitions des espèces et des cycles biologiques au sein des écosystèmes.
Des impacts notamment sanitaires
Ce qui est observé en milieu naturel se retrouve exacerbé dans les systèmes d’élevage aquacoles. Pascal Goumain du groupe Saumon de France évoque par exemple, sur le site de cages en rade de Cherbourg, une température de 21°c enregistrée pendant un moins entier cette année (au lieu de 18°c atteint pendant quelques jours auparavant) ! Et la prolifération d’amibes sur les branchies des saumons, nécessitant en urgence des bains d’eau douce … et la reconception du cycle d’élevage avec un allongement de la phase en circuit fermé thermorégulé y compris l’été (jusqu’à des poids individuels de 1,3 kg). Mais avec des coûts d’électricité qui « explosent », l’arbitrage devient cornélien et on imagine désormais l’implantation de cages (moins coûteuses en fonctionnement que les circuits fermés) sur des plateformes off-shore plus éloignées des côtes.
Autre cas en Ariège : Alain Lebreton, du cabinet vétérinaire Vet’eau, témoigne du regain de l’infection de truites arc-en-ciel par le parasite PKD. Interpelé par Loïc, étudiant de retour de stage sur une pisciculture contaminée bien que bénéficiant d’une eau très fraiche (6 à 8°c), le vétérinaire suspecte une résistance des poissons amoindrie et une prévalence plus large du parasite sur le territoire, avec augmentation de la densité des spores infectantes.
Vers des pistes de réponses
Bien sûr, comme le rappelle Jean-François Baroiller, chercheur au CIRAD-ISEM, on peut compter sur les plasticités phénotypiques au sein des populations et sur une adaptation évolutive au fil des générations pour assurer une certaine résilience des organismes aquatiques.
Mais d’autres pistes de réponses sont pointées également. Catherine Lejolivet, enseignante en aquaculture à l’initiative de la journée, évoque tout d’abord les politiques publiques avec le Plan Aquaculture d’avenir 2021-2027 et notamment l’action 4 « Gestion des risques climatiques, sanitaires, zoosanitaires et environnementaux »*. On parle aussi d’agrivoltaïsme (pour ombrager les bassins avec des panneaux photovoltaïques), de diversification (des espèces, des productions ou des sites de production...), d'ajustement des circuits de commercialisation, voire de migration des lieux de production...
Guillaume Pelet (Nutreets) et Félix Haget (Eauzons) présentent ensuite les vertus potentielles de l’aquaponie, si tant est que l’on a la possibilité de bénéficier de sources de chaleur fatale sur site (à proximité de centrales énergétiques, d’industries ou de programmes immobiliers), que l’on optimise le plus possible le taux de renouvellement en eau et les pompages et que l’on sorte des produits à forte valeur ajoutée, notamment d’origine exotique (crevettes, vanille,…). Avec des coûts de production 30% plus chers qu’en pisciculture gravitaire, ils estiment à 3 000 m2 minimum le seuil de rentabilité d’une entreprise d’aquaponie (soit 20 tonnes de poissons produits par an).
Lors de la table ronde des retours d’expériences, deux étudiants de retour de stages témoignent d’adaptations : en Brenne, pour faire face à la perte de volume des étangs liée à l’augmentation des températures (néfaste pour les brochets), l’exploitation suivie par Mérick a diminué la densité d’élevage et avancé la période de capture. Marine quant à elle rapporte que sa salmoniculture aveyronnaise en AB ne rencontre pas de difficultés particulières du fait d’une faible densité d’empoissonnement (15 kg/m3). Pierre Herrgott, enseignant en sciences et techniques des équipements hydrauliques, souligne également, au-delà des solutions high tech, l’intérêt de la modularité des structures et des fluides (grâce à la variation de vitesse des moteurs par exemple), pour des systèmes plus résilients. « Il est nécessaire de préparer les jeunes aux réalités tout en restant optimiste », précise-t-il enfin.
Philippe Leroy boucle la boucle en envisageant sur l’exploitation du lycée, qui a dû pour sa part augmenter sa production (de 15 à 26 tonnes de poissons/an), la possibilité de « fermer » le circuit d’eau des bassins de grossissement pour passer les moments difficiles. Il souligne pour conclure l'importance d'anticiper les crises aigues sur la gestion de l'eau et d’accroître les réunions de concertation entre usagers localement.
La journée se termine par une visite guidée de l’exploitation du lycée, équipée en sortie d’un système de récupération et d’épaississement des boues, de l’unité pilote de lombricompostage des boues ainsi que de la serre de démonstration aquaponique. Parmi le public, des représentants de Sète Agglopôle imaginent déjà sur leur commune un projet d’aquaponie en sortie de station de traitement des eaux usées …
* Les priorités du plan Aquacultures d’Avenir s’articulent autour de l’innovation, la simplification administrative, l’amélioration des conditions sanitaires et zoosanitaires, la gestion des risques, la performance économique et environnementale des entreprises, l’attractivité des métiers et la valorisation des données. Concernant la gestion des risques (climatiques, sanitaires, zoosanitaires, environnementaux), on citera une meilleure prévention et protection (notamment assurantielle), l’identification de nouveaux sites et l’adaptation des installations existantes et une meilleure coexistence de l’élevage et des prédateurs.
Téléchargements :
Programme de la 16e Semaine de l’eau
Fil twitter sur la Journée : https://twitter.com/cdurox/status/1640852549153574922/photo/1
Contacts utiles :
Catherine Lejolivet, enseignante en aquaculture et référente PFT GH2O du site de La Canourgue : catherine.lejolivet(at)educagri.fr
Philippe Leroy, directeur de l’exploitation piscicole de l’EPLEFPA Lozère, site de La Canourgue : philippe.leroy(at)educagri.fr
Olivier Martin, directeur de l’EPLEFPA Lozère : olivier.martin01(at)educagri.fr
Nicolas Alvarez, coordinateur de la PFT GH2O Occitanie : nicolas.alvarez(at)educagri.fr
Françoise Henry, chargée de mission ADT DRAAF-SRFD Occitanie : francoise.henry01(at)agriculture.gouv.fr