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Témoignages de pratiques agroécologiques sans labour, en AB et en cultures associées

Le groupe de travail national ACS/TCS a organisé deux visites techniques les 15 et 16 mai 2024. La première s’est déroulée à la station Arvalis de Montans (Tarn) où Régis Hélias et son équipe pratiquent la culture de céréales associées à des légumineuses dans l’inter-rang, avec entretien mécanique de celui-ci, en évaluant l’effet des couverts végétaux en non-labour et en agriculture biologique. La seconde visite a concerné la ferme Sain’Biose (Lot et Garonne), qui combine agriculture biologique et pratiques de conservation des sols, en cultivant des associations céréales-légumineuses à grande échelle. Retour sur ces deux journées riches en découvertes agroécologiques.

Régis Hélias : Un visionnaire des couverts végétaux en AB et sans labour

Régis Hélias, ingénieur agronome, responsable de la station Arvalis de Montans (Tarn), nous a accueilli sous un soleil timide. La station a été créée en 1976. Les premières expérimentations en agriculture biologique (AB) ont débuté en 1985/1986. Aujourd’hui, l’équipe est composée, d’un ingénieur agronome, de deux techniciens et d’une assistante.

Fort d’une expérience de plus de trente ans en bio, animateur national en AB pour Arvalis, Régis Hélias a présenté l’orientation qu’il a donnée à la station depuis quelques années : « Ayant fait le tour des pratiques historiques, il m'a semblé intéressant d'aller vers des pratiques nouvelles permettant de satisfaire les enjeux techniques en AB et de cocher un maximum de cases de l'agroécologie ».

La station produit des références en matière de couverts végétaux, vivants et permanents, sans pulvérisation d’herbicides ni usage de produits phytos de synthèse. Les essais de Montans ont démarré dès 2016 en grandes cultures. Ils attirent des experts du monde entier, notamment du continent américain, qui viennent découvrir les couverts végétaux menés en AB et sans travail du sol profond.

La station cherche aussi à établir des références sur la dynamique du phosphore (P) en AB, avec des parcelles très pauvres. « Parmi les sujets étudiés à Montans, il y a les gènes d’intérêt pour la tolérance à la JNO (jaunisse nanisante de l’orge, virus transmis par les pucerons) et le blé tolérant à la carence en phosphore. » nous précise Régis Hélias. 

Enfin, la station est impliquée dans le projet GRAAL. Ce projet de recherche tente d’évaluer la faisabilité de gestion d’un couvert de légumineuses semées en inter-rang d’une culture d’intérêt, principalement par son fauchage. Les essais de Montans tournent autour d’associations de cultures d’hiver (blé, orge) et de luzerne sur plusieurs années (au moins 5 à 8 ans). Ces associations sont possibles grâce à du matériel conçu spécifiquement et précisément paramétré. Par exemple, la précision GPS du désherbage mécanique atteint 2,1 cm (contre parfois 7 cm en sortie d’usine). 

« La luzerne, de variété flamande, est semée avec le GPS dans un écartement de 30 cm. Toute la biomasse est restituée au sol. Le blé est semé à l’automne sur la luzerne fauchée, qui va alors entrer en dormance. La luzerne s’avère très utile pour maîtriser la levée les chardons. » indique Régis Hélias. 

Il présente les premiers résultats obtenus :

  • La première année, le rendement en céréales en association chute de 25% par rapport au bio ;
  • la deuxième année, le rendement revient à la moyenne du bio ;
  • la troisième année, le rendement augmente par rapport au bio.

Mais cultiver successivement la même plante plus de deux années de suite n’est-il pas interdit en AB ? Régis Hélias répond promptement : “Les cultures associées ont un statut particulier, comme les cultures pérennes. C’est possible de faire une “monoculture” de blé dans un couvert de luzerne, mais il faut respecter deux conditions : pas d’apport d’azote sur la culture dans le couvert et l’association doit s’inscrire dans une rotation à l’échelle de l’exploitation.”

Beaucoup de nouvelles questions apparaissent ou restent en suspens à l'issue de ces premières années de recherche. Pour l’ingénieur de la station, l'avenir de l’AB et probablement de l’agriculture conventionnelle dans un second temps se dessinera avec les associations de cultures et l’utilisation des couverts. 

Les expérimentations d’associations culturales en AB

Une autre association a également été testée : blé-sainfoin, en comparaison de blé-luzerne. « Plante très mellifère et très vigoureuse, le sainfoin pousse toutefois en hauteur ce qui rend la récolte du blé plus compliquée » indique Régis Hélias. Le blé en association se comporte bien et n’a pas de souci particulier. Il reste beaucoup plus facile de gérer le couvert de luzerne, ce qui permet une récolte plus facile du blé, une fois que la luzerne a été fauchée. « La luzerne reste aussi un atout pour se prémunir du chardon qui a tendance à ne plus réapparaitre grâce à l’association » précise Régis.


Chronologie des phases culturales (cf. poster Arvalis)

La luzerne (variété flamande) est semée au printemps à 30 cm d’écartement, avec le guidage GPS à correction RTK (Cinématique Temps Réel en anglais), dans une culture de tournesol, espacée de 60 cm.

Le tournesol est récolté, du blé est semé avec un écartement de 30 cm entre blé et luzerne, et cette dernière est alors broyée. Pendant l’automne et l’hiver, la luzerne entre en dormance, laissant la place au blé pour taller. 

Au printemps, en mars-avril, afin de limiter la concurrence et de restituer l’azote, un premier fauchage est effectué à l’aide d’un outil spécialement conçu pour tondre la luzerne entre les rangs de blé. Sur la station de Montans, l’outil utilisé est le porte-outil Gaïa de la société Eco-Mulch équipé de ses éléments de tonte inter-rang (C’est le même porte-outil, cette fois équipé d’éléments semeurs qui aura été auparavant utilisé pour réaliser les semis); la réussite de cette opération de tonte est possible grâce à la précision du GPS RTK correctement paramétré et à la bonne réalisation de la liaison tracteur outil, pour faucher au plus près des rangs de céréales, sans les faucher.

Puis, jusqu’à la récolte du blé, la luzerne est fauchée environ 3 fois au printemps lorsque qu’elle atteint 20-25cm de haut. Une fois la récolte passée, la légumineuse est maintenue et joue le rôle de couvert, avec les avantages qu’on lui connaît : captation d’azote pour la culture suivante, stockage de carbone, maîtrise des adventices, limitation de l’érosion et refuge pour la biodiversité.

La pratique a été testée durant quatre ans successifs, sur 0,5 ha, avec du blé tendre de 2016 à 2018 et un an de blé dur pour 2019. Le tableau suivant présente les résultats obtenus.


La famille Ligneau de Sain’Biose à Lannes (Lot et Garonne)

L’exploitation certifiée biologique est également en zéro labour.  « Pour ma part, ce qui est important et la base de l’agriculture, est le stockage du carbone » insiste Daniel Ligneau. Il précise : « Au Lycée agricole, un professeur m'a transmis la passion de l’agronomie. Par la suite j’ai fréquenté Claude Bourguignon, Frédéric Thomas et Gérard Ducerf. Aujourd’hui nous avons un groupe WhatsApp très actif dont le nom est : les irrationnels. ». 

Ferme familiale composée de cinq actifs dont un salarié, elle s’étend sur 400 ha dont 60 ha de prairies. Les cultures, toutes en AB depuis 2010, sont des céréales (blés, maïs), des légumineuses (haricots, lentilles, pois, féverole, gesse, soja), du tournesol et du lin. Globalement, la stratégie de rotation consiste à alterner deux ans de cultures d’hiver et deux ans de cultures de printemps.

Cette zone agricole est très séchante, certaines productions bénéficient donc d’un dispositif d’irrigation. Cette exploitation a su adapter ses productions en introduisant des lentilles, pois chiches, pois carrés et haricots secs.  

Étant très souvent associées, les plantes sont triées après récolte et intégralement transformées sur place. Les rendements s’élèvent à 25-30 quintaux (qx) en céréales associées, 30 qx en soja irrigué et 45 qx en maïs popcorn. Les déchets du tri sont valorisés en autoconsommation par les animaux de la ferme.

L’atelier d’élevage comprend une soixantaine de vaches allaitantes Blonde d’Aquitaine, et environ 8.000 poulets de chair. Ces derniers sont passés en AB en 2014, tandis que les bovins l’ont été en 2017. Les bovins sont alimentés presque exclusivement par les coproduits de la transformation.

Riche de plus de trente ans d'expériences, Daniel explique son raisonnement : “Je détermine mes pratiques pour conserver mon sol et la nature en général. Je ne laboure rien et je gère toutes mes cultures en associations. Je ne fais qu’un travail superficiel du sol.” Le test bêche sur plusieurs parcelles a montré, sur place, la présence de nombreux gros vers de terre. La logique de Daniel est tournée vers le respect de la vie du sol. L’un de ses prochains objectifs vise à implanter des haies autour de toutes ses parcelles, et de les conduire en trogne. Le bois récolté sera ensuite broyé pour être restitué au sol.


Connaissez-vous la culture du maïs en corridors solaires ?

Récemment importée en France, cette pratique consiste à semer du maïs avec un écartement de 1,50 mètre, dont l’inter-rang est couvert. Classiquement, on sème du maïs entre 0,70 et 0,90 mètre d’écartement. 

Cette technique provient d’Amérique du Nord. Elle est expérimentée depuis une vingtaine d'années. Le principe vise à augmenter les intervalles entre les rangs de maïs (par exemple) pour bénéficier d’une meilleure photosynthèse, et d’assurer le développement d’un couvert abondant et diversifié. Les rendements sont similaires ou légèrement dégradés. D’après une étude (Kremer et Deichman, 2014),l’architecture de la plantation donnerait au maïs l’accès à des radiations photosynthétiquement actives, ce qui favorise la production de composés carbonés avec finalement une augmentation de biomasse et de grains récoltés. 

À la ferme Sain’Biose de Lannes, on cultive le maïs de cette façon depuis quelques années. “Je sème mon maïs à 1,20 mètre d’écartement, avec du haricot grimpant et un couvert dans l’inter-rang. J’ai essayé à 1,80 mètre mais il y a une grosse perte de rendement”, explique Daniel Ligneau.



Des productions transformées et valorisées de la récolte à la vente

La ferme Sain’Biose dispose d’une unité de tri et de transformation en farine pour les céréales et les légumineuses produites à la ferme. Elle pratique également une activité de service en transformation auprès de plusieurs voisins. 

La famille a investi près de 1,7 million d'euros pour trier toutes ses graines et pour les réduire en farine : “Nous nous sommes équipés d’une chaîne de tri performante, composée d’un trieur rotatif, d’une table densimétrique, d’un trieur alvéolaire et d’un trieur optique.”

Cela leur permet de proposer un grand nombre de formats de conditionnement : 500 g, 1kg, 5 kg, 10 kg, 25 kg ou encore big-bag. La ferme vend à la grande distribution, aux boulangers, à la restauration collective, aux détaillants, aux industriels et un peu en vente directe. 

Les légumineuses valorisées à la ferme sont : le soja, les haricots blanc lingot, rouge et azuki, le pois carré (gesse), le pois chiche et la lentille verte. Les légumineuses sont valorisées à la ferme en vente directe avec la farine de blé en sacs de différents formats T65, T80 et T110. Le tournesol est valorisé en huile vierge vendue au litre. Les pois chiches sont vendus en grains et en farine. La ferme produit et vend de la farine de blé rouge de Bordeaux, variété ancienne. L’ensemble des déchets de tri et la féverole sont valorisés en élevage bovin (Blondes d’Aquitaine) et en production de volailles.


 

Les cultures sous couvert et les associations au cœur du système

Toutes les cultures sont conduites en association comme blé et fèverole mais aussi des mélanges plus surprenants comme blé et lentilles ou maïs et haricots. Semer des mélanges est complexe, les récolter également et les vendre a nécessité de gros investissements. Très vite, la famille Ligneau a compris que pour bien valoriser leur production, il était nécessaire de trier les graines issues des différents mélanges. Un équipement de stockage avec trois types de trieurs (rotatif, alvéloaire et optique) permet de séparer les graines. Pour s’approprier une meilleure plus-value, la famille Ligneau transforme une grande partie de sa production.

Enseignements des visites techniques et perspectives de travail

« Découvrir les essais d'Arvalis et la ferme Sain'Biose sur l'agriculture de conservation des sols a été très enrichissant. Ces pratiques, encore peu répandues, sont pourtant essentielles pour répondre aux enjeux de la transition agroécologique. En cette première année de poste en tant que directrice d’exploitation agricole, avec un atelier grandes cultures certifié AB, j'avais envie d'innover, mais il est souvent difficile de passer de la théorie à la pratique. Ces deux visites m'encouragent à poursuivre les expérimentations sur l'exploitation agricole de Castelnaudary. Je remercie Réso’them et j’invite mes collègues à participer aux prochaines visites ! » souligne Camille Picart, de l’établissement de Castelnaudary, à l’issue de ces deux visites.

Ces visites nous ont ouvert les portes d’une ACS possible en AB et enrichie par des pratiques agroécologiques. En plus d’intégrer les enjeux du sol, du zéro phyto de synthèse, du concept One Health, de la biodiversité, de l’agroéquipement, de la transformation et de la vente de proximité, Sain’Biose prend en compte la dimension paysagère avec des infrastructure agroécologiques et une forte adaptation à son territoire. Pour évoluer vers un système aussi complexe, il est judicieux de suivre une stratégie « pas à pas » en expérimentant des associations et une ACS sans herbicides à petite échelle avant de généraliser à l’ensemble de l’exploitation comme l’a fait Sain’Biose.

L’intérêt de la ferme Sain’Biose nous conduit à proposer une nouvelle visite en accord avec l’agriculteur. Cette fois, avec plus de directeurs d’exploitations agricoles de l’enseignement agricole. L’intérêt est de découvrir un système agricole en ACS qui pratique à la fois l’AB, l’association de cultures et le tri à la récolte. Cette visite pourrait être proposée en septembre 2024 afin d’observer les cultures d’été avant récolte, notamment l’association maïs/haricot. D’autres visites de ce type sont à programmer par grande région (Nord-Ouest, Nord-Est et Sud-Est) pour couvrir le plus possible de situations de terrain. Cela pourrait être possible notamment en découvrant les autres sites où se déroule le projet GRAAL pour revenir également sur les expérimentations de culture avec un couvert permanent de luzerne et entretien mécanique de l’inter-rang. Le groupe de travail en ACS et TCS, porté par Réso’them, présentera ses travaux le 14 juin dans le cadre du webinaire à l’attention des DEAs. Ce sera ainsi l’occasion d’échanger également sur ses prochains rendez-vous.

Télécharger l'article en pdf -Télécharger le flyer du webinaire ACS du 14 juin 2024

Juin 2024 – Philippe Cousinié, Vincent Jehanno et Hervé Longy, animateurs Réso'them de l'enseignement agricole avec la contribution de Julien Leroy et Lamia Latiri-Otthoffer, chargés de mission Bergerie Nationale de Rambouillet, et Camille Picart, DEA de l’EPLEFPA de Castelnaudary.