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Animation et développement
des territoires
de l'enseignement agricole

Le Domaine du Pradel, un kaléidoscope de l’agroécologie

Au cœur de l’Ardèche, à Mirabel, le Domaine du Pradel occupe une place singulière dans le paysage de l’enseignement agricole. Ancienne propriété d'Olivier de Serres (agronome français du 16ème siècle), l'exploitation agricole et l'atelier technologique de l'EPLEFPA d'Aubenas occupent un site chargé d’histoire, en constante évolution, tourné vers l’agroécologie. De la ferme expérimentale qui produit des références en élevage caprin pour les éleveurs à la production viticole et au chantier d’insertion, découverte d’un site aux multiples facettes, façonné depuis sa création par des expérimentations au service des agriculteurs et du territoire.

Un élevage caprin pâturant proche des consommateurs

La route qui conduit à la ferme est bordée de pâtures et en ce début d’hiver, les parcelles attenantes au bâtiment d’élevage, nouvellement rénové, continuent d’accueillir des chèvres au pâturage. C’est une des particularités de la ferme caprine. « Au Pradel, une chèvre a besoin d'une tonne de matière sèche de fourrage et de seulement 300 kg de concentré contrairement à un système en bâtiments où la consommation serait d’une tonne de matière sèche et d’une de concentré » nous explique Pierre Ulrich, directeur de l’exploitation (jusqu'en décembre 2022). Ce système produit 220 000 litres de lait annuellement dont 75% est transformé sur place en Picodons, qui pour moitié iront garnir les étals parisiens et lyonnais via des grossistes. En effet, à la création de l’atelier de transformation, la ferme du Pradel s’était engagée à « sortir les fromages de la région afin de ne pas créer de concurrence forte avec les autres producteurs locaux » précise Pierre. Pourtant, nulle déconnection entre producteur et consommateurs puisque chaque semaine, la secrétaire de la ferme contacte par téléphone les revendeurs, faisant le point sur leurs besoins, recueillant leurs impressions. D’ailleurs, une fois par an, le directeur de l’exploitation visite ces crèmeries parisiennes afin d’assurer la promotion de la ferme, de ses produits. D’ailleurs, une fois par an, le directeur de l’exploitation visite ces crèmeries parisiennes afin d’assurer la promotion de la ferme, de ses produits.

Une ferme de production et d’expérimentations

Mais revenons aux productrices ! Les chèvres, réparties en cinq lots, pâturent en moyenne 200 jours par an, en fonction des conditions météorologiques et de la conduite des expérimentations sur le troupeau, une autre particularité de la ferme du Pradel. La mise en lots est un exercice d’appariement qui s’apparente à un jeu de Mistigri : on prend une chèvre (lot 1), on décrit toutes ses caractéristiques puis on choisit une chèvre qui lui ressemble le plus possible qui sera intégrée au deuxième lot. Chaque lot est ainsi constitué de 48 chèvres et sont comparables deux à deux. Certaines chèvres non appariables, ne seront pas intégrées à des expérimentations. Elles vont constituer le cinquième lot, support de travaux pratiques pour les apprenants. En effet, les élèves sont présents en mini stage une semaine par an selon leur niveau scolaire, participent aux soins aux animaux mais contribuent peu aux expérimentations.

En 1990, la ferme caprine a été créée pour produire des références techniques et cette activité ne s’est jamais démentie. Aujourd’hui, l’expérimentation représente 35% du chiffre d’affaires de l’atelier caprin (soit 230 000 €) sans pénaliser l’activité de production.
Tout est affaire de dosage et de stratégie : contrairement à une ferme expérimentale classique, l’objectif est d‘expérimenter sans impacter la production de façon dommageable. Il s’agit de ne pas perdre de clients et d’assurer la rémunération des salariés. Une règle tacite s’impose : ne pas prendre des expérimentations qui feraient trop baisser la production sauf si cette expérimentation est très démonstrative et peut servir aux éleveurs pour la valorisation du lait en AOP Picodon. « Une journée sans collecter de données est une journée qui ne sert à rien voire une journée qui peut pénaliser une expérimentation. L'objectif est de ne pas courir dans le fonctionnement au quotidien pour ne pas louper la collecte des données » nous explique le directeur de l’exploitation dans la salle de traite. Cette salle unique possède en effet deux machines à traire identiques montées en parallèle de 12 postes et 24 places chacune. Elles fonctionnent en parallèle et permettent de tester les effets de procédures de nettoyage et de désinfection de la machine à traire ainsi que l’évolution du biofilm, étape déterminante pour la qualité microbiologique du lait et des produits finis en lait cru (projet CMaFlaura).

Des expérimentations en cascades, toujours au service des éleveurs

La rénovation du bâtiment d’élevage en 2019 favorise la conduite des expérimentations. Chaque lot de chèvres a le même type d’accès à l’extérieur, le même nombre de places à l’auge, d’abreuvoirs, etc. Les facteurs tels que la météo, l’orientation du bâtiment sont contrôlés. La quantité d’alimentation distribuée, les refus alimentaires sont pesés quotidiennement. Le contrôle laitier est réalisé chaque semaine. Et les expérimentations s’enchainent dans des domaines à enjeux.
Pour exemple, le projet APaChe étudie l'impact de la consommation d’arbres à vocation fourragère sur les performances zootechniques et le comportement des chèvres laitières. D’une durée de trois ans et dans le contexte d’adaptation aux aléas climatiques, il ambitionne d'apporter des éléments de réponses et de lever des craintes des éleveurs sur l’aptitude à la transformation fourragère du lait issu d’animaux pâturant des arbres fourragers.

De même, la conduite sanitaire du troupeau est primordiale en élevage laitier et la maitrise des STEC (agents pathogènes responsables d'infections humaines) est un sujet prioritaire. Le projet MaLISTEC a permis de proposer aux éleveurs des guides de bonnes pratiques d’entretien des litières des animaux pour contribuer à la santé de la mamelle et prévenir la multiplication et la transmission de ces bactéries dans le lait. Les conditions de travail des éleveurs et les attentes sociétales ne sont pas en reste. La ferme du Pradel expérimente les lactations longues, c’est à dire des chèvres qui réalisent jusqu’à trois saisons de lactation sans mise-bas. Cette pratique, qui prend de l’ampleur chez certains éleveurs, mérite d’être analysée. Ses avantages (diminution du temps de travail lié à la mise à la reproduction, les mises bas, limitation du nombre de chevreaux souvent mal valorisés) sont à confronter à la qualité du lait.
D’autres domaines restent à explorer et les équipements de la ferme du Pradel le permettraient.  Pierre Ulrich précise : « tout avait été fait en système énergétique non limitant. Dans un contexte d’énergie chère et limitante, le moment est probablement venu de revoir des fiches techniques de transformation fromagère, d’utilisation de machines, de revoir les process de fabrication de fromages pour maximiser la production et minimiser la consommation d'énergie ». Autant de problématiques que la Ferme du Pradel est prête à étudier.

Cap Pradel, une organisation innovante de Recherche et développement 

Cap’Pradel est un réseau créé en 2018 autour de la ferme expérimentale caprine du Pradel. Ce dispositif a pour objectif de piloter les expérimentations et études conduites sur le site du Pradel, mais aussi en fermes caprines commerciales de la région Auvergne-Rhône-Alpes et d’en assurer la diffusion. Association qui se base sur un partenariat ouvert, en lien avec la profession via la FNEC (Fédération Nationale des Eleveurs de Chèvres) et la Chambre Régionale d’Agriculture d’Auvergne-Rhône-Alpes.  Cap’Pradel permet de créer des synergies entre les éleveurs et les acteurs de la R&D. Le partenariat avec l’Institut de l’élevage se traduit par la mise à disposition d’une chargée d’expérimentation à temps plein. Les financements proviennent de France Agri Mer, d’Agences de l'eau, de financements régionaux dont le programme CERCEAU par exemple. 

 

Un site chargé d’histoire avec un patrimoine riche

Les 50 hectares, d’un seul tenant, portent l’héritage d’Olivier de Serres (1539-1619), agronome et auteur du Théâtre d’Agriculture et mesnage des champs. Les jardins, botanique, médicinal, potager et bouquetier, en témoignent. Jean Marc Giacopelli directeur adjoint, nous guide entre le romarin, la sauge, la bourrache, les gigérines, les blettes. Les jardins commencent leur repos hivernal, entretenus par les bénéficiaires du chantier d’insertion, en prévision des visites au public dès le printemps. Les jardins commencent leur repos hivernal, entretenus par les bénéficiaires du chantier d’insertion, en prévision des visites au public dès le printemps.

Notre déambulation se poursuit et nous découvrons les traces anciennes ou plus contemporaines d’expérimentations. Nous devinons tout un réseau ancien de collecte d’eau. Le relai a été pris pour la gestion et la protection de l’eau avec la conversion totale du vignoble en agriculture biologique, l’implantation de dispositifs anti-dérive pour les produits phytopharmaceutiques, de haies dans le cadre dEcophytoTER.

Les arbres occupent une place importante sur le domaine. Les chênes bicentenaires contribuent au patrimoine génétique du site. Ils accueillent une avifaune riche et diversifiée, les chèvres au pâturage ... et offrent de l'ombre aux visiteurs lors de fêtes locales. Les muriers ne sont pas en reste et témoignent d’un passé récent et de l’actualité. Plantés dans les années 1990 dans le cadre d’un projet expérimental de relance de production locale de soie, ils sont aujourd’hui pâturés, leur valeur fourragère analysée.
L’ensemble du site est entretenu et mis en valeur par les stagiaires en formation : apprentis CAPa Jardinier Paysagiste, CAPa Métiers de l’agriculture – option vigne et vin, bénéficiaires du chantier d’insertion.  Ils développent des animations autour du patrimoine, de l'environnement et de l'alimentation auprès des scolaires, maisons de retraite, groupes touristiques. Ils organisent des visites du musée Olivier de Serres et de ses jardins, proposent la vente de produits locaux dans son caveau, entretiennent des chemins de randonnée, des voies vertes, des zones de captage d'eau et d'espaces dédiés à l'agropastoralisme sous forme de prestations de services auprès des collectivités territoriales, des syndicats mixtes, etc.

Fort de son histoire, Le Domaine du Pradel reste en évolution permanente, espace de test et de mise en œuvre de la transition agroécologique, ouvert aux visiteurs et sur son territoire.

Un établissement inscrit dans la transition agroécologique depuis de nombreuses années 

Impliqué dans les projets Agriculture Durable, Développement Durable, BiodivExpé, Ecophyto'TER, le Plan Local Enseigner à Produire Autrement est une opportunité pour travailler en collectif et redéfinir des axes prioritaires et gagner en valorisation et en visibilité. Le Conseil de l’Education et de la Formation a été mobilisé. Trois axes structurants se dégagent :  

  • Le développement de l'agriculture biologique via la conversion totale du vignoble, le développement des engrais verts, l’implantation de cépages résistants, ... sur la ferme. Et le développement des formations : le Certification de Spécialisation caprin et le Brevet Professionnel maraîchage en agriculture biologique

  • L’accompagnement de la stratégie alimentaire territoriale, en lien avec le Plan Alimentaire Territorial du Bassin d’Aubenas, la consommation locale en produits de qualité, la mise en œuvre de la loi Egalim dans les établissements, l’accès à une alimentation de qualité à des personnes en situation de précarité 

  • Agriculture, Arbre et biodiversité tant avec les acteurs du territoire (Plan Pastoral Territorial, consortium départemental « Plantons des haies » qu’avec l’ensemble des filières de l’EPLEFPA : Bac Pro CGEA, Bac STAV, BTSA GPN, BTSA ACSE. 

 

 

Trois questions à Pierre Ulrich, directeur de l’exploitation :

- De quoi êtes-vous le plus fier ? "De la conduite des travaux dans les bâtiments d’élevage. J’ai réussi à motiver les salariés pendant la phase de travaux qui a duré environ un an alors que le troupeau avait déjà augmenté, que les conditions de travail étaient difficiles et que les expérimentations continuaient. La structuration de la Ferme avec Cap Pradel est une réussite. L’équipe de direction de l’EPLEFPA a été visionnaire : ne pas sortir la ferme ministère de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire, en faire une exploitation de production et d’expérimentation et les partenaires ont adhéré".
- S’il fallait améliorer quelque chose ?"Améliorer la politique « ressources humaines » du et mieux faire reconnaitre les compétences des personnels".
- Un conseil à donner à un éventuel successeur"Eclate toi. C’est un boulot super complet. Tu peux tout faire, de la production, de la transformation, tu peux être stratégique avec un point de vigilance : il faut être sur tout donc il faut se ménager".

 


Les chiffres clés et des particularités de l’exploitation :

. Surface totale : 52 hectares donc 12 hectares de vignes et 40 hectares de SFP

. Production caprine et transformation : 220 chèvres pour une production annuelle de 220 000 litres de lait donc 50 000 litres livrés et le reste transformé à la fromagerie, sur site soit 320 000 picodons.

. Viticulture : 600 hectolitres produits : 150 hl transformés au Domaine du Pradel et 450 hl transformés par une coopérative

. Salariés : 4 ETP pour l'élevage et les cultures (sous-traitance des cultures pour le semis, la préparation des sols), 2 ETP pour la fromagerie, 1,5 ETP pour la viticulture et chantier insertion, 1 ETP pour secrétariat et 1 ETP pour l’expérimentation : 1ETP (financement Institut de l’élevage)

La ferme caprine du Pradel en chiffres


Contacts utiles :

Site internet de l’EPLEFPA EPLEFPA Olivier de Serres : https://epl.aubenas.educagri.fr/

Janvier 2023, Dominique Dalbin et Emmanuelle Zanchi, animateurs Réso’them de l’enseignement agricole