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La Canourgue, une exploitation piscicole face aux enjeux du changement climatique

Rencontre avec Philippe Leroy, directeur de l’exploitation piscicole

La ferme aquacole de la source du Frézal a été construite en 2000/2001. 

L’exploitation produit 26 tonnes / an. Les espèces produites sont des truites Arc en Ciel (95%) et des truites Fario (5%). La ferme aquacole réalise l’ensemble du cycle de production ; de la reproduction au grossissement. Deux ans d’élevage sont nécessaires à la production de truites de deux kg destinées à faire des filets fumés.

Pour répondre aux enjeux économiques de l’exploitation, le directeur (DEA) a fait le choix de créer en 2009 un atelier de transformation. La recherche de diversification, de valeur ajoutée et l’élargissement de l’éventail de compétences proposé aux élèves étaient au cœur du projet de création de l’atelier. Aujourd’hui, il permet à l’exploitation de commercialiser ses produits à l’échelle nationale, voire européenne, sur le marché du poisson vivant. De plus il renforce son impact territorial avec la commercialisation en circuit court de ses produits transformés.

L’atelier transforme plus de la moitié de la production de la pisciculture soit 14 tonnes de truites par an. Depuis sa création, ce dernier a fortement contribué au maintien de la bonne santé économique de la structure. Aujourd’hui, l’exploitation est confrontée aux nouveaux enjeux climatiques et environnementaux : le pilotage technico-économique de l’outil de production est fragilisé par le contexte climatique devenu aléatoire. L’outil devra évoluer pour être capable de répondre à des variations difficiles à anticiper.

« L’aléa climatique a toujours existé mais il présentait des variations d’intensité mesurée avec une certaine régularité dans la périodicité. La conception de l’outil et les itinéraires techniques mis en place étaient parfaitement adaptés au contexte climatique des 50 dernières années. Maintenant, l’outil atteint ses limites. Le niveau de risque augmente proportionnellement au niveau d’incertitude. L’exploitation ne présente plus la résilience nécessaire à une saisonnalité aléatoire. Le système a vécu » explique Philippe Leroy. 

Pour lui, le circuit ouvert présente de nombreux avantages : il est très performant sur le plan énergétique, il permet l’obtention de produits d’une qualité optimale et il est peu sensible aux aléas mécaniques. Le revers de la médaille réside dans sa grande sensibilité aux aléas climatiques et sa dépendance au regard de la disponibilité de la ressource en eau. "Travailler en interaction directe avec les éléments naturels et le vivant n’a jamais été un problème ; au contraire, c’est un choix qui explique mon orientation vers un métier agricole. Mais pour que ce métier reste un plaisir, il faut que les outils soient adaptés au contexte. Dans une période de forte incertitude, la structure doit trouver les moyens d’augmenter sa capacité de résilience ».

S’adapter pour relever de nouveaux enjeux

Les questionnements vis-à-vis de l’outil de production sont nombreux. Philippe nous les livre : "Globalement, la pluviométrie annuelle est relativement stable, mais la pluie ne vient pas de la même façon ni au même moment. La période est instable et imprévisible. Pour se projeter sereinement dans l’inconnu, le maître mot est l’adaptabilité. C’est d’autant plus important que l’adaptation ne se limite pas au changement climatique. Il faut s’adapter aux attentes sociétales en matière d’attractivité d’un métier (contraintes professionnelles, niveau de risque…), de préservation de l’environnement, de qualité et de sécurité alimentaire mais aussi de bien-être animal ; le tout sans dégrader la situation économique de l’exploitation".
L’ampleur et la complexité des enjeux exigent une réflexion approfondie. Les questions sont nombreuses. Doit-on mettre en place des systèmes totalement déconnectés des phénomènes naturels mais gourmands en énergie ? Doit-on préférer l’aléa mécanique et électrique à l’aléa climatique ? Est-on sûr qu’en s’affranchissant des contraintes naturelles, on reste en phase avec les attentes sociétales évoquées précédemment ? A-t-on envisagé l’ensemble des solutions possibles à l’échelle territoriale en matière d’usages et de gestion de la ressource en eau ? De quelle ressource en eau disposerons nous à moyen et long terme ?
Pour Philippe, "le pire serait de traiter les conséquences d’un problème et d’en amplifier la cause, sans répondre à l’ensemble des enjeux.".
Ainsi, il mène la stratégie de l’exploitation en articulation avec les besoins des enseignants et les objectifs de formation. Mais il s’interroge sur l’adaptation de son itinéraire technique pour répondre aux différents enjeux auxquels il est de plus en plus confronté et amené à réfléchir :

  • L’approvisionnement en ressource en eau (prélèvement dans une source, débits reglementaires,
  • La transition énergétique,
  • L’équilibre économique,
  • La gestion des ressources humaines,
  • La conduite des productions qui répondent aux attentes sociétales
  • L’adaptation de l’outil aux enjeux de formation des élèves (climatiques, alimentaires…) et des futurs professionnels .

Vers une transition écologique de l’exploitation ?

L’ensemble des exploitations agricoles de L’EPLEFPA de La Lozère s’est engagé dans une démarche de certification environnementale ISO 14001. Il s’agit d’un système de management environnemental basé sur un engagement volontaire d’amélioration continue des pratiques.
L’objectif de cette certification est de valider la démarche "développement durable" mise en œuvre sur l’établissement. Elle s’appuie sur un diagnostic environnemental et un plan d’actions annuel et fait l’objet d’un audit par un cabinet extérieur. L’exploitation aquacole est inscrite pour sa part dans cette démarche. « La démarche de certification me semble être une évolution incontournable. Au regard des attentes sociétales, il ne suffit plus de dire ce que l’on fait. Il faut maintenant le prouver. Sur le plan de la formation, la démarche Iso 14001 de l’exploitation est une illustration de ce que représente une démarche de certification en termes d’organisation, de travail et d’intérêt pour la structure. Dans un avenir proche, je pense que les professionnels de la filière aquacole devront maîtriser les démarches qualité de ce type» précise Philippe.
Parallèlement, l’exploitation est également convertie au mode de production biologique et labellisée AB pour l’alevinage et le prégrossissement.
À l’image d’autres filières de productions animales, la réduction de la consommation d’antibiotiques est également un objectif. Même si l’utilisation d’antibiotiques reste faible, la pisciculture s’est engagée dans une recherche de solutions alternatives à ces traitements. Un essai est actuellement en cours sur l’usage de prébiotiques et de probiotiques.
La question du traitement des effluents piscicoles est source de controverses quant à leurs impacts sur le milieu naturel. Le lycée de la Canourgue mène différents projets d’expérimentation sur des pratiques agro-écologiques pour réduire les impacts sur le milieu naturel. Des essais sur la lombrifiltration ont été réalisés dans le cadre du programme CASDAR APIVA sur l'atelier aquaponie en cicuit fermé. Les résultats prouvent l’intérêt de cette pratique. Philippe s’est saisi de ces résultats pour mettre en place une station expérimentale pilote de lombri-compostage destinée à valoriser les boues isues de la pisciculture. Ce projet pilote est réalisé en partenariat avec l’association Lombritek dans le cadre du projet INNOQUA, lequel s’inscrit dans le programme H2020 de la commission Européenne.
Ce nouvel outil contribue à l’attractivité du lycée, complète les outils innovants et expérimentaux et s’insère pleinement dans la dynamique mise en œuvre au sein de l’établissement.

(lire aussi l'actualité : "À La Canourgue, on traite et valorise les boues piscicoles avec des lombrics", déc. 2021)

Valoriser les transitions en cours avec les élèves et dans les formations

L’exploitation piscicole est fortement utilisée pour mettre en œuvre différentes modalités pédagogiques : mini stage en binôme, travaux pratiques, etc.
Dans l’objectif de développer les capacités de travail en équipe, la stratégie de l’établissement est de favoriser la rencontre des élèves des différentes classes lors des tâches quotidiennes de gestion de l’élevage. Lors des stages d’immersion sur l’exploitation, les élèves de seconde et bac pro productions aquacoles côtoient régulièrement des étudiants de BTS aquaculture de première et de deuxième année. Lors de l’accueil de stagiaires étrangers (Inde, Slovaquie, Norvège, Brésil…), il arrive que le travail en équipe exige l’utilisation d’une langue étrangère.
Pour un élève de seconde, le premier stage en entreprise est un saut dans l’inconnu. Partir en stage dans une entreprise est comparable à un voyage à l’étranger. La préparation au voyage est indispensable pour limiter les déconvenues. C’est pourquoi, le stage d’immersion sur l’exploitation a pour objectif de préparer les jeunes à la rencontre du monde professionnel.

Former les élèves et les étudiants à l’agroécologie

Pour répondre aux enjeux de formation et aux évolutions du métier, Philippe a proposé aux équipes pédagogiques de s’impliquer avec les élèves et/ou les étudiants dans l’élaboration du diagnostic de l’exploitation pour tendre vers un système plus efficient, respectueux de la nature et de l’homme.
La question est posée : « Comment va-t-on s’adapter à un contexte environnemental et climatique changeant ?". Il souhaite ainsi engager avec les équipes pédagogiques une réflexion autour de la circulation de l’eau au  sein de la pisciculture.
Delphine Rivière, enseignante en économie dans le Bac professionnel  aquacole a saisi cette proposition pour aborder concrètement la notion de durabilité avec les élèves de 2ndeet 1ere années. Elle a ainsi initié avec Philippe une première découverte de l'outil IDAQUA (Indicateurs de durabilité pour l’aquaculture) pour les élèves de 1ère. et de terminale .
Tous deux ont formalisé et mettent en œuvre une méthodologie et des outils adaptés à chaque niveau scolaire qui reprennent les 30 indicateurs d’IDAQUA pour évaluer la durabilité de la pisciculture. Une synthèse avec une présentation du diagnostic au directeur de la pisciculture complète l’apprentissage.
« La démarche pédagogique et l’outil ont été adaptés pour un usage en Bac professionnel aquacole. La pisciculture est le support d’apprentissage pour s’entrainer à utiliser l’outil de diagnostic et en comprendre son intérêt. Cet outil d’autoévaluation permet de faire un premier bilan de durabilité et de suivre régulièrement l’évolution de sa performance » explique Delphine Rivière. Les élèves apprennent ainsi à le maitriser in situ avec un tuteur, le directeur, l’employé aquacole, un des enseignants… avant de le réinvestir sur une période de stage en milieu professionnel.
La pisciculture de La Canourgue poursuit sa réflexion sur la « transition » de son exploitation. L’enjeu est de passer le cap pour devenir« une exploitation piscicole résiliente, basée sur un système ouvert proche de la nature, qui prend en compte l’humain et qui soit acceptable socialement […] Et surtout une exploitation adaptée à la formation des pisciculteurs de demain et qui accompagnent ceux-ci pour s’adapter à un contexte changeant. »

Valoriser les effluents piscicoles par la production de fruits et de fleurs et boucler les cycles.
Catherine Lejolivet, enseignante en aquaculture et chargée de mission Eau-Aquaculture-Aquaponie présente les avancées du projet: Depuis 2013, le Lycée Louis Pasteur de La Canourgue et ses partenaires sont à l'initiative du programme national d’expérimentation sur l’aquaponie : APIVA 1 puis APIVA 2-optimisation des systèmes. Cette technique innovante de coproductions hors-sol de denrées animales et végétales, étudiée au sein d’une station de 500 m² à 600m d’altitude, a pour vertu de traiter et valoriser des effluents piscicoles (truite, esturgeon, carpe, poissons tropicaux). Cette symbiose entre végétaux, poissons et bactéries, où les déchets d’un élément deviennent la nourriture d’un autre élément, permet de créer un écosystème diversifié au sein même des systèmes de culture végétale. La production locale de produits (fraises, salades, aromatiques, fleurs) de qualité nutritionnelle et sanitaire irréprochable, exclut tout recours aux pesticides et s’affranchit de tout intrant chimique comme au sein du pilote de La Canourgue où seul le fer biologique est apporté 3 fois par an. La fermeture des systèmes permet en outre de réduire de 90% les besoins en eau comparativement au maraichage plein champ. Une ruche installée dans la serre contribue à la pollinisation ; les boues piscicoles sont traitées par lombrifiltration au sein de l’unité afin d’obtenir un lixiviat minéralisé utilisable en retour dans l’unité. Cette station est inscrite comme la pisciculture du lycée dans une démarche de certification environnementale 14001. Cette station permet aussi de conduire des programmes CASDAR (compte d'affectation spécial « Développement agricole et rural ») et FEAMP (fonds de l'Union européenne consacré aux affaires maritimes et à la pêche) sur la spiruline biologique. Les apprenants et d’autres enseignants, Lionel Valley en particulier, sont particulièrement associés à la conduite des programmes d’expérimentation en réalisant des travaux pratiques, des stages d’une semaine par binôme, week-end inclus en autonomie. Des formations courtes pour des porteurs de projets commerciaux et actuellement pour des entreprises du paysage (UNEP) sont régulièrement organisées. La transposition de l'échelle expérimentale à l'échelle commerciale est en cours. L'aquaponie est parfaitement adaptée dans les milieux périurbains et dans la démarche d'agriculture urbaine, faisant collaborer un ensemble d'institutions publiques, écoles, citoyens et commerces locaux.


La pisciculture du lycée de La Canourgue rassemble sur le même site les quatre modes de production de l’aquaculture continentale internationale :

  • salmoniculture sur eau de source, comprenant un hall géniteur, qui permet la réalisation de 3 pontes par an, une écloserie pour l’incubation des œufs et l’élevage des larves, une plate-forme d’alevinage
  • hall technologique en circuit fermé termorégulé en circuit fermé pour élever des tilapias et des poissons d’ornement d’eau chaude et d’eau froide),
  • atelier « étangs » comprenant 2 étangs de 400 m² et 1 étang de 600 m²,
  • atelier de transformation de poissons. Cette ferme aquacole de la source du Frézal est intégrée au lycée depuis 2000. Depuis 2013, le lycée dispose d’un pilote expérimental en aquaponie (voir la fiche-action)

Contacts utiles :

Novembre 2019 - Florent Spinec et Emmanuelle Zanchi, animateurs Reso’them de l’enseignement agricole