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Digne-Carmejane : Comment concilier pastoralisme, productivité et lutte contre la prédation ?

Au cœur des Alpes de Haute Provence, les 700 brebis de l’exploitation de Digne-Carmejane pratiquent et maitrisent le sylvo-pastoralisme depuis des années. Mais depuis 2015, il a fallu apprendre à se protéger contre la prédation causée par les loups … La protection, comme la zootechnie ou l’agronomie, cela s’apprend à l’école et au quotidien. Récit d’une protection exemplaire…

Valoriser les ressources locales

L’exploitation de l’établissement de Carmejane élève des ovins depuis de nombreuses années, comme la plupart des élevages des Alpes de Haute Provence. Cette production est valorisée sous l’appellation « agneau de Sisteron » qui regroupe une IGP et un label rouge. L’ensemble de la production est commercialisé par la coopérative L’Agneau Soleil (620 adhérents).

Francois Demarquet, directeur de l’exploitation précise la conduite du troupeau en insistant sur l’utilisation, depuis 1985, de surfaces pastorales (500 ha) toute l’année ainsi que de deux places d’estives.  700 brebis de race Préalpes du sud, race rustique adaptée au pastoralisme et au climat méditerranéen, ayant une bonne aptitude au dessaisonnement, sont reparties en trois lots de mises bas (février-mars, juin et septembre - octobre) pour étaler la production d’agneaux.

 « Nous rapprochons les brebis de la bergerie pour les agnelages, et élevons les agneaux jusqu’à 75 jours avec leurs mères généralement en bergerie » explique François. Ensuite les brebis repartent sur des surfaces pastorales et les agneaux sont engraissés jusqu’à 115 jours. Ils feront en moyenne 17 kg carcasse pour une conformation R et un état d’engraissement prononcé (note de 3) pour un prix entre 6.5 et 6.70 € /kg carcasse.

« Conduire un troupeau productif avec 1.2 agneaux sevrés par brebis, économe en concentré mais aussi en temps passé en bergerie » tel est l’objectif affirmé de Francois Demarquet.

Depuis 1985, un travail colossal de clôture des surfaces pastorales a été entrepris, avec pose de quatre fils dont deux électrifiés, permettant de découper la surface en parcs spécialisés en fonction de leur exposition et des saisons. La majorité de ces surfaces sont boisées et sont pâturées une fois par an. 

De la prédation à la protection

L’année 2015 marque un tournant dans l’activité de pastoralisme et de la conduite du troupeau. En effet, les premières attaques de brebis par des loups montrent les limites du système de clôtures. L’exploitation modifie alors complètement son fonctionnement et opte simultanément pour l’emploi d’un berger la journée, pour des parcs de nuit et pour l’utilisation de chiens de protection spécialisés. « Nous voulions une race de protection qui avait toujours connu le risque de prédation et qui était suffisamment sociable » précise François. Venus d’Italie, 10 bergers des Abruzzes, une race de grand chien de berger blanc, sont venus renforcer la garde du troupeau.

Elevés dès leur plus jeune âge dans le troupeau de brebis, ces chiens suivent le troupeau dans ses moindres déplacements. « Regardez, il fixe le troupeau, c’est ce que nous recherchons » précise Francois. Comme pour tout nouvel élevage, et c’en est un, dans un lycée agricole, il y a le triptyque production, pédagogie, expérimentation-démonstration. « Il a fallu apprendre à travailler avec les chiens de protection, savoir les élever et gérer la reproduction, les éduquer, observer leur comportement dans le troupeau et entre-eux, apprendre comment se comporter avec eux… » souligne François, avant d’enfoncer le clou « nous commençons à servir aujourd’hui de référence pour l’utilisation des chiens de protection ». Ainsi, le CFPPA de l’établissement propose des formations courtes à destination des éleveurs dans ce domaine.

L’arrivée du risque de prédation est gérée sans compromis. Il a donc fallu réapprendre le pastoralisme :  avant, les brebis pâturaient au lever du jour et au coucher du soleil, au moment où les températures étaient les plus clémentes. Aujourd’hui, la protection est prioritaire : un berger est présent toute la journée mais « la nuit, il n’y a plus de berger ; il faut prendre des dispositions particulières avec un parc de nuit ». La nuit, les brebis sont rassemblées dans un espace central. Une couronne clôturée, scindée en deux, ceinture l’enclos des brebis. Dans chacune de ces demi-couronnes, deux ou trois bergers des Abruzzes veillent. Le fait d’avoir deux groupes de chiens dans la ceinture évite une fixation sur un seul point de danger.  Cinq à six chiens sont donc nécessaires pour assurer la protection, pour l’instant efficace, de 350 brebis.

Expérimenter reste une priorité

Même si la préoccupation principale de François est actuellement « comment je protège le troupeau et non comment j’optimise la productivité », l’expérimentation demeure un axe majeur de l’exploitation. Elle représenteun tiers du chiffre d’affaire et emploie 1.5 ETP. L’expérience de l’exploitation est reconnue. Elle travaille avec l’Inra, l’IDELE (institut de l’élevage),  la maison régionale de l’élevage et  les Chambres d’agriculture de la région depuis de nombreuses années. Les travaux actuels portent sur l’ensemble du système animal et végétal : densité de semis vesce avoine, prairies multi espèces, âge des agneaux au sevrage et conformation des carcasses. Plus récemment, l’établissement a intégré le projet Amtrav’Ovin, piloté par l’Institut de l’élevage qui vise à améliorer les conditions de travail des éleveurs ovins pour rendre ce travail viable et favoriser le renouvellement de générations. Mais les chiens de protection ne sont jamais bien loin puisque certains d’entre eux viennent d’être équipés de puces avec GPS ; leurs déplacements dans les troupeaux de brebis, leur résistance au stress et plus globalement leurs conditions de travail vont être analysés.

Au-delà de ces travaux et à l’heure où la prédation inquiète les éleveurs, l’expérience acquise montre que des solutions sont possibles et Carmejane remplit parfaitement son rôle d’expérimentateur dans ce domaine. 

Les trois questions de fin :

De quoi êtes-vous le plus fier ?D’avoir un système harmonieux et cohérent autour de la valorisation des ressources locales.

S’il fallait améliorer quelque chose ? Le regret de ne pas avoir anticipé l’achat des chiens de protection. »

Un conseil à donner à un éventuel successeur ? “ Profite de ton regard nouveau pour découvrir où sont les points à améliorer ”

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À pas de loups

Canis lupus ou loup gris italien vit en moyenne 10 ans et pèse de 25 à 35 kg. Ce "marathonien" est un carnivore. Il consomme 3 à 4 kg de viande par jour. Il vit en meute (un couple reproducteur alpha et ses descendants, trois à huit individus sur 150 à 250 km²) et quelques individus vivent en dispersion. Il peut occuper tous types de milieux (montagne, forêt, landes, prairies, plaines). Le loup est une espèce protégée, relevant de la convention internationale de Berne (ratifiée en 1989 en France) et de la Directive européenne « Habitat – Faune et Flore » de mai 1992 : interdiction de détention, de capture, de mise à mort. Un protocole national loup vise à assurer un bon état de conservation de l’espèce tout en maintenant l’élevage et le pastoralisme dans les territoires colonisés. Il se traduit par la mise en place de moyens de protection des troupeaux, l’indemnisation des dommages sur les troupeaux et des mesures d’intervention sur la population de loups (prélèvements dérogatoires au statut d’espèce protégée).


L’exploitation de Digne 2018 en chiffres :

SAU :  60 ha et 500 ha de parcours

­Système fourrager :

  • 10 ha de céréales à paille
  • 50 ha de prairies dont 40ha sont irrigués

Atelier Ovin : 700 brebis race Préalpes du sud

Rucher : En augmentation, 25 ruches pédagogiques en 2018, 50 en 2019 pour la production et la pédagogie

ETP : 3.5

Chiffre d’affaires 2018 : 400 000


Contacts utiles : 

 

 

 

mai 2019 - Karine Boutroux, Hervé Longy et Emmanuelle Zanchi - animateurs Réso’them de l’enseignement agricole.