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Animation et développement
des territoires
de l'enseignement agricole

Dans les vignes de Cosne-sur-Loire, des brebis permettent de renouveler pratiques agricoles et pédagogiques

Accueillir des brebis et expérimenter le vitipastoralisme est l’aventure dans laquelle se sont engagés le lycée agricole et viticole et l’exploitation du Domaine des Athénées, un des trois sites de l’établissement de Nevers-Cosne-Plagny dans la Nièvre. Pâtur’Ovigne est une action du projet régional Inter’Actions (lauréat du casdar Transition agroécologique). Il révèle l’engagement des équipes enseignantes, de direction, de l’exploitation viticole et des élèves et illustre comment leur motivation permet de lever des verrous sociotechniques.

Un projet à enjeux agroécologiques pensé et construit pas à pas

Tout commence en 2019 avec la volonté de tester une nouvelle forme de coopération entre viticulteurs et éleveurs à l’échelle d’un territoire. Si la complémentarité entre grandes cultures et cultures pérennes ou élevage est plébiscitée pour favoriser les transitions agroécologiques, les expériences de vitipastoralisme sont peu développées dans la région viticole de Pouilly et de Sancerre. Pour les enseignants, la direction de l’exploitation et Sarah Ghibaudo, cheffe de projet pour la région Bourgogne Franche Comté sur la résilience des systèmes d’élevage, les objectifs du projet sont multiples. Au-delà de l’intérêt pédagogique, il s’agit d’améliorer les connaissances et de promouvoir le pâturage ovin de surfaces additionnelles (surfaces pâturées non inscrites dans l’assolement PAC de l’éleveur en tant que prairies ou cultures fourragères, par ex des pelouses de l'établissement, des surfaces de tiers...), Le but est également de tester une alternative à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques (PPP), de donner à voir ces pratiques aux viticulteurs du territoire. En effet, les brebis, en pâturage hivernal, permettent d’entretenir et de fertiliser les sols et d’avoir un couvert végétal minimum lors de la reprise de la végétation au printemps. Leur présence ne perturbe quasiment pas les travaux agricoles et nécessite une conduite raisonnée en interventions PPP de la parcelle. Les acquis d’un autre programme d’étude, le projet Brebis Link, permettent à l’équipe d’intégrer les contraintes (surveillance, dégâts sur la vigne par exemple) et de préciser les modalités du vitipastoralisme dans leur situation.

Les réunions de travail s’enchainent. Une parcelle proche du lycée, avec de vieux ceps est sélectionnée afin de faciliter la surveillance du troupeau et de limiter le risque de dégradation des pieds de vignes. Elle est aussi choisie pour sa proximité avec deux parcelles secondaires (plus le terrain de foot et quelques espaces verts du lycée) en cas de manque de fourrage l’été. Un semis inter-rang est envisagé. « Il faut que les brebis aient toujours de quoi manger pour éviter qu’elles lèvent la tête et ne s’attaquent aux pousses de la vigne » précise Sarah. L’équipe opte pour des brebis de réforme, aux besoins alimentaires limités pour palier un déficit possible de qualité fourragère de la parcelle.

Des questions restent en suspens : quelle race choisir ? La teneur en cuivre des parcelles et les résidus de traitement de la vigne peuvent-ils impacter les animaux ? La visite d’une exploitation vitipastorale avec des élèves de Baccalauréat Professionnel CGEA permet d’affiner le projet.

Les confinements de 2020 freinent la réalisation. Mais la motivation des enseignants et des élèves est grandissante et l’arrivée de nouveaux directeurs d’exploitation sur les sites de Cosne-sur-Loire et de Nevers donne une accélération. En octobre 2020, sept brebis de Nevers prennent leurs quartiers à Cosne. « Nous ne savions pas si les brebis Berrichon du Cher, plus lourdes que le format préconisé par la bibliographie seraient adaptées à nos parcelles mais nous avons pris le risque » explique Sophie Ramet, directrice de l’exploitation de Cosne. L’absence d’élevage proche de Cosne a imposé de travailler avec les brebis de l’autre ferme de l’établissement située à 60 km.

Une expérience ancrée dans la pédagogie

Les travaux préparatoires de budgétisation et le choix de matériaux, engagés l’année scolaire précédente par les élèves, prennent sens. Dès septembre 2020, élèves de bac pro CGEA et enseignants clôturent la parcelle grâce au prêt de matériel d’un agriculteur ancien élève voisin, réalisent un abri et un petit hangar de stockage en un temps record. Céline Tixier, enseignante de zootechnie et Damien Giquet, enseignant d’agronomie, réorganisent en urgence les chantiers prévus en juin 2020 et reportés en raison du confinement. « Nous avons banalisé une semaine pour conduire les travaux. Il fallait aller vite avant l’arrivée des brebis. C’était perturbant et un peu inquiétant ; il y avait peu d’herbe car nous n‘avions pas pu anticiper le semis mais quelle émulation ! » se souvient Céline. Concrètement, une vigne de 0,39 ha accueille les brebis. Elle est associée à deux prairies de 0,20 et 0,70 ha qui vont permettre d’adapter le pâturage et les besoins des brebis à la pousse de l‘herbe.

Cette mise en application des recherches antérieures auprès de fournisseurs en matériel d’élevage et de cultures fourragères est motivante. « Nous avions encouragé les élèves à participer au salon de l’herbe pour qu’ils imaginent des cultures inter-rangs, ils ont fait des propositions de mélanges variétaux » précise Damien. De la classe de seconde à la terminale, tous sont impliqués. « Au lycée, il y a des bac pro CGEA et des bac pro CGEVVLes “viti” ont les vignes pour les travaux pratiques. Nous, on avait envie qu’il y ait des animaux » précise un élève de bac pro CGEA. Et la complémentarité des formations opère. Les élèves ont mis en évidence les impacts de la vigne sur les ovins et inversement sans occulter les difficultés : risque de boiteries, destruction de feuilles, compaction du sol, risque de surpâturage et mélange variétal à optimiser, distension légère des fils de palissage des vignes et attache des baguettes (les nouvelles branches) rendue nécessaire. Observations, pesées régulières et soins aux animaux, relevés floristiques, conduite du pâturage sont consignés avec soin et diffusés au sein de l’établissement

 

Ces premiers résultats permettent d’envisager des améliorations pour la prochaine campagne : semis sous couverts un rang sur deux, mise en pâture après débourrement de la vigne, plantation de haies mellifères dans les parcelles tampons, essais de culture de céréales fourragères, en lien direct avec le référentiel du bac pro. Les pratiques culturales de la vigne évoluent. « Avant le projet, le vignoble n’était pas enherbé, nous utilisions du glyphosate inter-rangs et dans le rang. Maintenant, nous tendons vers le zéro glypho mais il faut gérer l’enherbement avec les animaux. Nous avons pour projet de diviser la parcelle pour optimiser le pâturage » précise Damien.

Une convergence d’intérêts

Pâtur’Ovigne est né et se développe grâce à l’engagement croisé des élèves, quelques enseignants, des directeurs d’exploitation et l’opportunité du projet CASDAR Inter’Actions. Pour Sophie Ramet, directrice de l’exploitation viticole de Cosne, le projet contribue à diminuer l’usage des PPP et fait se questionner sur la fertilité et la vie du sol. Elle concède avoir pris un risque agronomique modéré, la parcelle choisie n’étant pas la meilleure parcelle du domaine. « Une de mes motivations était de concrétiser l’envie des enseignants et de proposer un nouveau support pédagogique aux élèves car nous n’avions pas d’animaux pour les bac pro CGEA ». C’est également l’opportunité pour l’exploitation du lycée agricole de Nevers, qui prête les brebis, de réduire son chargement parcellaire, de laisser reposer une prairie et de développer l’expérimentation. Guillaume Bouché, le directeur d’exploitation, a ainsi engagé une réflexion sur la résilience globale du système par le pâturage de surfaces additionnelles dans les vignes à Cosne-sur-Loire, dans un verger conservatoire à Nevers et dans une pépinière à Plagny, troisième exploitation de l’établissement.

Après une année de fonctionnement, l’organisation commence à se stabiliser, élèves et enseignants sont impliqués dans la surveillance des animaux, des résultats sont attendus sur le dosage du cuivre dans le sang des brebis, la croissance et la valorisation des animaux. Un boucher du village est intéressé à contribuer à la valorisation en transformant en merguez et saucisses et l’abattoir est proche. « Nous avions tout à imaginer. Accueillir des brebis dans une zone où la place de l’élevage a fortement diminué est complexe. Nous manquons de matériel de pesée, de contention, trouver un tondeur est difficile mais l’intérêt pédagogique et la motivation des élèves nous porte » s’enthousiasme Céline.

Le vitipastoralisme expérimenté à Cosne trouve écho auprès du voisinage qui apprécie de voir des animaux, sans convaincre pour le moment les viticulteurs du territoire. Son avenir dans l’établissement semble assuré tant il rassemble les intérêts des filières agricoles et viticoles. La gastronomie n’est pas en reste puisqu’une réflexion sur les recettes avec la viande de mouton et les accords mets et vins est amorcée !

 

En savoir plus sur le projet de pastoralisme dans la pépinière, troisième exploitation de l’établissement :

- Présentation du projet, témoignages des élèves, des enseignants : visionner la Bande annonce, visionner la vidéo dans son ensemble

- lire l’article complémentaire de juillet 2021 « A Plagny-Sermoise, faire pâturer une pépinière par des brebis, c’est possible ! ».

Le projet  Inter’Actions  “Coopération entre “grandes cultures” et “élevage” au service de l’agroécologie en Bourgogne-Franche-Comté” (soutenu par le fond CASDAR  de septembre 2019 à février 2023) à trois objectifs :

1/ Enseigner l’agroécologie auprès des apprenants, en démontrant tout l’intérêt de la coopération entre élevages et grandes cultures au niveau d’un territoire.

2/ Développer des relations entre les exploitations d’EPLEFPA et les exploitations voisines, permettant de renforcer la transition vers l’agroécologie.

3/ Créer une dynamique entre exploitations d’élevage et exploitations céréalières au niveau du territoire, afin de favoriser des échanges qui assureront une meilleure valorisation des ressources et contribueront à envisager des techniques permettant de « produire autrement ».

Ce projet est mené avec les 6 exploitations des 4 établissements de Fontaines (porteur du projet), de Nevers, de la Barotte et de Vesoul. Ils travaillent sur d’autres aspects, avec par exemple des enquêtes chez les éleveurs et céréaliers sur leur potentiel de coopération, la recherche d’autonomie protéique à l’échelle de plusieurs fermes voisines, l’étude des diverses formes de coopération, etc.

Il nourrit enfin la réflexion régionale sur la durabilité et la résilience des systèmes de polyculture-élevage  (projet DUResPCE).

4 questions de fin

Sophie Ramet :

  • De quoi es-tu la plus fière ? Du lien recréé avec les élèves, que cette exploitation soit support des deux filières viticole et agricole, qu’ils soient plus contents de ce qu’on fait ensemble.
  • S’il fallait améliorer quelque chose ? Qu’il y ait plus d’accompagnement, d’organisation avec les équipes pédagogiques, qu’on travaille encore plus tous ensemble sur notre cœur de cible que sont les jeunes.
  • Un conseil pour un éventuel successeur ? Avoir beaucoup de courage, de patience, être dans la communication, mais savoir décider quand il faut. Ne pas se lancer dans trop de choses.
  • Un aspect du métier qui te plaît beaucoup ?  Les échanges avec les différents acteurs, les professionnels du secteur, les enseignants, les élèves… C’est très enrichissant !

Guillaume Bouché :

  • De quoi es-tu le plus fier ? La mise en place de la vente directe en viande, il y a de la demande et ça marche super bien.
  • S’il fallait améliorer quelque chose ? La troupe ovine et rendre le pâturage plus efficace.
  • Un conseil pour un éventuel successeur ? Faire attention au management et continuer à solliciter l’équipe pédagogique d’enseignants et formateurs.
  • Un aspect du métier qui te plaît beaucoup ? Il n’y a pas une journée type ! Quand on sort du bureau, même s’il y en a pas mal, il y a toujours quelque chose à faire ailleurs.
 


Chiffres clés des exploitations

Domaine des Athénées (Cosne-sur-Loire à 60 km au nord de Challuy et Plagny)

  • Surface totale : 8,25 ha
  • Productions : viticulture (vins mousseux et tranquilles – Coteaux du Giennois, Sancerre, Pouilly sur Loire), prestation pour l’élaboration de vin effervescent (particuliers et professionnels)
  • Salariés : 3 ETP
  • Chiffre d’affaire 2018 : 120 000 €

Le pré des Athénées (Challuy)

  • Surface totale : 165 ha (125 ha prairies, 40 ha grandes cultures, autoconsommation et vente de céréales)
  • Productions : 80 Vaches allaitantes Charolaises inscrites au Herd Book ; vente de reproducteurs ; vente en coopérative et en direct à la boutique gourmande des Athénées (viande en caissettes, quelques produits transformés - chili con carne, sauce bolognaise, rillette de bœuf, bœuf bourguignon…) + introduction au self du lycée ; grandes cultures ; 50-60 ovins Berrichons du Cher (atelier pédagogique) ; expérimentations dans le cadre d’Ecophyto’TER (collectif Nord Est ATENA) ; un plan de gestion du bocage (notamment pour litière / copeaux)
  • Salariés : 2 ETP
  • Chiffre d’affaires 2018 : 134 000 €


Contacts utiles

EPL Nevers-Cosne-Plagny : Jean-Marie Baillard, directeur, jean-marie.baillard(at)educagri.fr

  • Exploitation de Cosne sur Loire / le Domaine des Athénées : Sophie Ramet, directrice, expl.cosne(at)educagri.fr
  • Exploitation de Challuy / le Pré des Athénées : Guillaume Bouché, directeur, expl.nevers@educagri.fr
  • Cheffe de projet DURespCE sur l’étude des facteurs de Durabilité et Résilience des exploitations de polyculture élevage en Bourgogne Franche Comté, basée à Nevers : Sarah Ghibaudo, Sarah.ghibaudo(at)educagri.fr
  • Enseignants de Cosne-Sur-Loire associés au vitipastoralisme : Damien Giquet (agronomie, agroéquipement), Céline Tixier (zootechnie), Camille Goguillon (zootechnie), Rémy Charlot (viticulture), Valérie Chartreux (viticulture-œnologie)...

EPL de Fontaines Sud Bourgogne : coordonnateur du projet CASDAR Transition agroécologique, Jérôme Bertholon, directeur adjoint, jerome.bertholon(at)educagri.fr

DRAAF/SRFD Bourgogne Franche Comté : Thierry Clabaud, chargé de mission animation et développement des territoires, réseau des exploitations, thierry.clabaud(at)agriculture.gouv.fr  jusqu'à l'été 2021 et ensuite Jérémy Fortecoeffe, jeremy.fortecoeffe(at)agriculture.gouv.fr


Juillet 2021 - Claire Durox, Emmanuelle Zanchi, animatrice Réso’them (énergie-climat, élevage) de l’enseignement agricole.